Kachgar ville mythique en reconstruction

Kachgar ville mythique en reconstruction-ChinecroissanceEtape majeure de la route de la soie, Kachgar garde le charme d’une antique cité d’Asie centrale. Mais la modernisation chinoise est à l’œuvre, et la vieille ville, dans les décombres.

“Qui n’est pas venu à Kachgar n’a pas vu le Xinjiang !” affirme un slogan touristique sur une grande banderole à l’entrée d’un hôtel. Qui ne va pas à Kachgar dans les prochains mois ne verra plus jamais cette ville unique aux confins de l’Asie centrale et de la Chine, pourrait-on ajouter.

Depuis avril dernier, en effet, les bulldozers sont entrés en action. Ils rasent, un quartier après l’autre, les maisons en pisé de cette ancienne cité-oasis, jadis étape importante de la route de la soie, vieille d’une histoire de deux mille ans.

Quelque 50 000 habitants de la vieille ville doivent être relogés en périphérie de la cité,afin de céder la place à un quartier central moderne, clinquant et conforme aux autres villes chinoises.

Le destin funeste de Kachgar peut sembler banal, au regard de ce qui se déroule ailleurs dans le pays. Mais les décisions officielles sont rarement fortuites dans la province du Xinjiang, riche en hydrocarbures et berceau du peuple ouïgour, turcophone et musulman en majorité.

“Xinjiang”, la “nouvelle frontière”


Xinjiang la « nouvelle frontiere-ChinecroissanceEn mandarin, “Xinjiang” signifie “nouvelle frontière”. C’est aussi le nom que la dynastie mandchoue des Qing donna à ce territoire montagneux et désertique, trois fois grand comme la France, lorsqu’elle l’annexa, en 1884, pour en faire une province de l’Empire.

Par son histoire, sa géographie, sa culture et sa population, cette région appartient plutôt à l’Asie centrale et au monde turc. S’ils étaient libres de donner leur point de vue, les Ouïgours parleraient du “Turkestan oriental”. Une appellation qu’ils n’utilisent jamais. Qui la prononcerait se verrait immédiatement accusé par les autorités chinoises de soutenir les “trois forces”terrorisme, séparatisme, extrémisme religieux.

La “rénovation” de Kachgar selon les normes chinoises a commencé au début des années 2000. En 2004-2005, la façade de la mosquée Id Kah, au coeur de la ville, a été carrelée et la place qui lui fait face, transformée pour devenir un site touristique. Le marché de nuit très animé, qui se tenait là tous les soirs et où chacun pouvait se régaler pour quelques yuans de brochettes ou de riz à la graisse de mouton, a été dégagé.

A la place se trouve désormais un écran numérique géant qui diffuse des soap operas chinois en langue ouïgoure. Dans la mosquée, un panneau explicatif donne le ton: “Tous les groupes ethniques vivent ici dans l’amitié. Ils coopèrent pour construire une patrie magnifique, supportent de tout coeur l’unité des différents groupes ethniques et l’unité de notre pays et s’opposent au séparatisme ethnique et aux activités religieuses illégales”.

Pourquoi rénover Kachgar


Pourquoi renover Kachgar-Chinecroissance

Le gouvernement chinois est convaincu que cet enchevêtrement de rues étroites, de maisons, de cours, de mosquées et de boutiques est dangereux. Pour Pékin, la ville a besoin de modernisation si elle veut prendre part au miracle économique chinois. Mais la peur des tremblements de terre et l’obligation de moderniser n’expliquent pas tout. Les Chinois s’efforcent de contenir un mouvement qu’ils qualifient de séparatiste dans la région du Xinjiang et ont affirmé début juin avoir démasqué huit cellules terroristes. Kachgar n’a pas connu les changements démographiques spectaculaires qu’a subi le reste de la province : à Urumqi, par exemple, la capitale qui est située à deux heures d’avion de Kachgar, la population ouighoure est passée de 60 à 30 % du total. A Kachgar en revanche, la population han – ethnie majoritaire en Chine – se compose essentiellement de policiers ou autres fonctionnaires.

Rien n’est simple à Kachgar, la cité qui inventa la mondialisation [en tant que plaque tournante des routes de la soie reliant la Chine au reste du monde]. Elle reste toujours un véritable melting-pot. Les panneaux d’affichage sont écrits en alphabet arabe [utilisé pour l’écriture ouïghour] et en caractères chinois et la population est un mélange de Ouïgours et de Hans, avec un bon nombre de Kazakhs, de Pakistanais, de Russes et d’Ouzbeks. Les bazars et les mosquées, la langue et les vêtements ouïgours, les traits européens et la cuisine turque font de cette ville, géographiquement la plus occidentale de Chine, une cité d’Asie centrale et non d’Extrême-Orient. Ici on est plus près de la Méditerranée que de Pékin.

Alexandre le Grand, Tamerlan, Gengis Khan, Marco Polo et l’empereur Qianlong sont tous venus à Kachgar, où la route de la soie du nord rencontre celle du sud. Certains d’entre eux en ont au passage profité pour mettre la ville à sac. Aucun n’a eu cependant sur cette ville d’aujourd’hui 400 000 habitants un impact aussi important que les urbanistes auxquels Pékin a ordonné d’abattre l’enclave musulmane et de construire dans cette province indocile un symbole moderne de l’influence chinoise.

Les Ouïgours


Les Ouigours-ChinecroissanceEn 2009, les destructions s’accélèrent brutalement. Dans une ruelle du centre historique, le visiteur peut croiser des géomètres chinois qui font des relevés. Un peu plus loin, des manœuvres recrutés dans les campagnes alentour détruisent à la masse une maison. Toute la soirée, des camions bennes font des roulements pour évacuer les débris. La cité est inexorablement réduite en poussière, comme en témoignent ces trouées de plusieurs hectares dans la vieille ville.

“Pourquoi détruisent-ils nos maisons? Ici, tout le monde sait que c’est à cause de ce qui s’est passé le 4 août 2008”, explique Yultuz, une lycéenne ouïgoure âgée de 18 ans. Quelques jours avant le début des Jeux olympiques de Pékin, deux Ouïgours auraient précipité un camion sur un groupe de militaires chinois; 17 d’entre eux auraient été tués.

Alors que plusieurs témoignages fiables laissent supposer une manipulation, le PC chinois s’est emparé de l’affaire pour relancer une vaste campagne répressive. Le fait que des Ouïgours relient la “lutte contre le terrorisme” menée par Pékin à leur éviction et à la destruction de maisons où certaines familles disent vivre depuis six générations en dit long sur leur mal-être. “Mon rêve, c’est que mon peuple ait son propre pays”, lâche Yultuz.

Une base de la police du peuple borde le Quartier du bonheur

A 3 kilomètres du centre se trouve le Quartier n°1. C’est ainsi que l’appellent ses occupants, qui préfèrent ce nom à le nom officiel de “Quartier du bonheur”. Commencées à l’automne 2008, les 20 barres de 6 étages et de 72 appartements chacune sont encore en chantier alors que les premiers habitants du centre viennent d’y être relogés, courant avril. Pour l’instant, seules 8 barres sur 20 sont habitées par 500 familles environ. Batur, 33 ans, a emménagé ici avec les siens trois semaines plus tôt. Sont-ils satisfaits?

Il répond en grimaçant: “Il faut choisir entre recevoir une indemnité d’expropriation de 1200 à 1700 yuans le mètre carré de l’habitation d’origine (de 126 à 178 euros), ou bien accepter un appartement de 50 mètres carrés dans le Quartier n°1. L’indemnité est si faible que nous n’avons le choix que d’accepter les appartements. Les relogés discutent le montant des indemnisations car il est dangereux de protester contre le principe du déménagement. Critiquer les décisions du gouvernement est interdit. Dans ce contexte, certains sont satisfaits de ce qu’ils ont reçu.” Mais beaucoup sont amers. Le quartier est loin du centre, aucune mosquée n’a été prévue, les immeubles n’ont ni ascenseur ni cour privative…

Pis, les habitations sont coincées entre une grosse cimenterie, qui relâche des effluves toxiques, et une base de la Police armée du peuple, la force paramilitaire chargée de réprimer les troubles intérieurs.

Selon Batur, la ville est rasée dans un but précis: “Il s’agit ni plus ni moins de détruire la culture ouïgoure.” Et de préparer l’arrivée de colons han, l’ethnie majoritaire en Chine, déjà majoritaire dans le reste du Xinjiang, mais pas à Kachgar, bastion de l’identité ouïgoure.

Des tas de bois se dressent au pied des barres d’immeubles – les débris des habitations que les habitants ont récupérés et emportés avec eux. Wu Song, un Chinois Han de 70 ans, ramasse les planches de sa maison détruite, qu’il fait brûler sur le trottoir pour chauffer son repas. L’appartement dans lequel il a emménagé il y a cinq jours n’est pas équipé de gazinière. Lui aussi, comme les quelques familles Han relogées ici dans des conditions identiques aux Ouïgours, habitait un quartier rasé de la vieille ville.

“J’ai quitté Pékin pour le Xinjiang dans les années 1960. Envoyé par Mao pour intégrer un bingtuan”, raconte-t-il en roulant une cigarette dans du papier journal. Ces unités militarisées de paysans et ouvriers, toujours très actives, sont le fer de lance de la colonisation chinoise dans le Xinjiang.

“Quand une unité de production de mon bingtuan a été mise en faillite, il n’y a plus eu personne pour payer ma retraite. Je vivote aujourd’hui avec une pension de 150 yuans [15 euros] par mois.” Pourquoi n’est-il jamais retourné chez lui, à Pékin? “La vie y est trop chère. Et le quartier de Chongwen, où se trouvait ma maison, a été rasé…”

Abdu Reni, fonctionnaire à la tête du Bureau du tourisme et des affaires extérieures de Kachgar, assure que la “rénovation” de la vieille ville est impérative, en raison des risques de tremblement de terre. “Les nouveaux bâtiments seront construits dans le style local”, assure-t-il. Sans pouvoir préciser, pour autant, si une partie de la ville ancienne sera conservée: “Ce n’est pas encore très clair…”

La destruction de la culture ouïgoure n’est sans doute pas la cause première de ce qui se déroule à Kachgar. Mais l’empressement avec lequel les autorités mettent en oeuvre ce projet de 350 millions d’euros, annoncé peu après le plan de relance national en novembre dernier, laisse perplexe.

La modernisation


La modernisation-ChinecroissancePour le gouvernement, la vieille ville est trop loin de l’alimentation en eau qui permet d’éteindre les incendies, et les bâtiments ne sont pas sûrs compte tenu des nombreux tremblements de terre qui frappent régulièrement la région ; le fait que tant de bâtiments de la vieille ville soient encore debout témoigne pourtant de leur capacité de résistance à la plupart des caprices de la nature. Le gouvernement chinois a amélioré l’économie, mais les Ouïgours craignent pour leur culture. Ils approuvent largement le bilinguisme dans l’éducation, car le mandarin est considéré comme la langue de l’avenir, mais les parents voient avec inquiétude le ouïgour disparaître peu à peu des programmes scolaires.

Le Xinjiang, qui est la plus grande province de Chine, représente 16 % de la superficie du pays et a toujours été difficile à gouverner. Le Parti communiste en est aussi conscient que les guerriers turcs et les seigneurs de la guerre mandchous qui s’y sont essayés au cours des siècles.

Des voix s’élèvent et critiquent la destruction de la vieille ville. Pour Wu Dianting, professeur de développement régional à l’Institut de géographie de l’Université normale de Pékin, il n’est ainsi pas nécessaire de démolir la vieille ville, car elle contient des bâtiments de bonne qualité.

“Le gouvernement pourrait faire en sorte que les Ouïgours qui vivent dans des maisons dangereuses s’installent dans une zone nouvelle. On pourrait alors renforcer et réparer certaines maisons. Certains bâtiments ne sont pas de bonne qualité. Certaines maisons sont trop proches les unes des autres, ce qui n’est pas pratique pour les premiers secours et la lutte contre les incendies. La vieille ville doit être protégée comme un tout, explique-t-il. On pourrait y développer le tourisme. La vieille ville de Kachgar contient le mode de vie, la production et la culture ouighours, il ne faudrait pas la démolir complètement.”

Pour He Shuzhong, fondateur et président du Centre de protection du patrimoine culturel de Pékin, s’il est important de protéger la population locale contre les dangers des tremblements de terre, il n’est pas nécessaire de procéder à une démolition à grande échelle.
“Le gouvernement pourrait réparer les maisons dangereuses. Mais la reconstruction devrait se faire en utilisant les techniques et les matériaux originaux. Il faudrait renforcer les bâtiments en restant fidèle à leur forme originale. Les Ouïgours sont l’esprit de la vieille ville. Si les gens s’en vont ailleurs, la ville perdra son âme.”

Pierre

Je m'appelle Pierre, et j'ai consacré une grande partie de ma vie à étudier et à comprendre l'économie chinoise. Diplômé d'un MBA en affaires internationales, j'ai eu la chance de vivre à Shanghai pendant cinq ans. Cette expérience a non seulement approfondi ma compréhension de la Chine moderne, mais elle m'a aussi permis de saisir les nuances complexes de son économie en rapide évolution.

Pierre

Je m'appelle Pierre, et j'ai consacré une grande partie de ma vie à étudier et à comprendre l'économie chinoise. Diplômé d'un MBA en affaires internationales, j'ai eu la chance de vivre à Shanghai pendant cinq ans. Cette expérience a non seulement approfondi ma compréhension de la Chine moderne, mais elle m'a aussi permis de saisir les nuances complexes de son économie en rapide évolution.

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